Le futur du vivant – Guillaume Lecointre

Le futur du vivant
Guillaume Lecointre
Professeur au Muséum d’Histoire naturelle
Conférence du 8 avril 2021
Enjeu de cette conférence : fournir des éléments de savoirs qui puissent permettre de construire une opinion de manière éclairée à partir des éléments disponibles de la science.
Au préalable, l’histoire naturelle nous permettant de penser à différentes échelles l’espace et le temps, il est inéluctable que l’espèce humaine s’éteindra. Jamais une espèce n’a dépassé une forme de stabilité au-delà de 500 000 ans, au maximum un million d’années. Soit elle disparaît par extinction, soit elle se scinde en plusieurs branches filles devenant inter-stériles donc d’autres espèces.
D’autre part, dans environ 5 milliards d’années, notre soleil entrera dans sa phase d’extension pour devenir une géante rouge, son diamètre touchant Mars, Vénus et la Terre. L’extinction totale de la vie sur Terre est donc inéluctable.
En deçà de l’échelle géologique, à l’échelle humaine, la préoccupation du devenir du vivant dans les deux ou trois générations à venir, est évidemment légitime.
Cette question nous amène à envisager trois concepts : le concept de nature, le concept de biodiversité et le concept d’écosystème, avant d‘envisager un état des lieux et des projections.
Je ne vais pas utiliser le concept de nature étant trop anthropocentré, défini en opposition à la culture et à l’ activité humaine. En histoire naturelle, l’humain est ancré en nature. Il en tire ses origines et est inséré dans un tissu d’interdépendance entre les espèces.
Les concepts de biodiversité et d’écosystèmes nous intéressent davantage. Mais souvent confondus dans la presse, ils nécessitent définitions. La biodiversité caractérise ce qu’il y a et l’écosystème ce que ça fait, c’est à dire les relations d’interdépendance entre les composantes de la biodiversité et entre le milieu géologique, l’atmosphère, le minéral et la composante de l’eau.
Pour la biodiversité, il y a trois échelles biologiquement définies. Le comptage du nombre d’espèces, la classification des espèces selon une définition conventionnée tenant compte de la diversité à l’intérieur de chaque espèce et l’assemblage d’espèces ou communautés d’espèces. C’est à dire un niveau infraspécifique, un niveau spécifique et un niveau supra-spécifique dans la biodiversité.
On va parler maintenant de l’état des lieux de la biodiversité, puis des projections et ensuite des travers humains de la perception des limites qu’on atteint aujourd’hui.
On peut disposer, sur la toile, de l’état des lieux à travers le rapport de l’IPBES (Plateforme Intergouvernementale Scientifique et Politique sur la Biodiversité Ecosystémique).
L’IPBES a fourni en 2019 un rapport établi par 145 experts de 50 pays différents, plus une contribution de 310 autres experts ayant analysé 15 000 références scientifiques sur l’état de la biodiversité, ayant pris en compte aussi des connaissances locales de peuples autochtones.
Grandes lignes de ce rapport étayé :
– L’ abondances locale pour les espèces terrestres (abondance : nombre d’individus par unité d’espace pour un espèce donnée) a baissé de 20 % depuis 1900, avec des disparités selon les espèces et selon les endroits. Les abondances d’insectes ailés, en Allemagne par exemple, ont baissé de 80 % depuis 1976, entrainant une chute des oiseaux insectivores et une chute de la pollinisation des plantes à fleurs.
– Nombre d’espèces :le rapport de l’IPBES répertorie aujourd’hui 1 million d’espèces en danger sur les 8 millions d’espèces qui existeraient. Le nombre d’espèces comptabilisées par la science étant aujourd’hui de 2 millions, mais sous estimé selon les techniques actuelles les évaluant de 8 à 80 millions.
Le rapport établit qu’on a une disparition des spécialistes au profit des généralistes, les espèces ayant des préférences écologiques très resserrées face à l’accélération du changement climatique étant plus rapidement impactées que des espèces plus opportunistes se satisfaisant d’une plus large gamme de température, d’hydrométrie ou d’ensoleillement.
– Disparition des espèces de grande taille au profit des espèces de petite taille. Selon un article sorti dans Nature en 2070, en raison de la fragmentation des espaces naturels des grandes espèces, on envisage en 2070 la disparition de la totalité des mammifères et des oiseaux de plus de 10 kilos vivant à l’état sauvage dans les zones intertropicales.
De plus, chez les mammifères et les oiseaux, le temps de génération est proportionnel à la taille de l’animal. Pour une souris, on a une génération tous les 6 mois, pour une vache plus d’1 an et pour une baleine 3 à 4 ans. Donc plus la vitesse de changement des environnements s’accélère, moins il reste de temps aux espèces de grande taille de faire face aux changements. Car il faut un nombre d’individus suffisant pour la variation naturelle. Si ces espèces n’ont pas assez de temps pour faire des petits, cette variation sera restreinte diminuant ainsi l’avenir évolutif de ces espèces.
– Effondrement des récifs coraliens : En 2100, les récifs coraliens risquent d’avoir totalement disparu. On a perdu déjà la moitié des récifs coraliens depuis 1870. Or ils sont des points chauds de biodiversité, concentrant une telle intrication des espèces entre elles qu’ils servent d’oasis de biodiversité et de ressources à énormément d’espèces environnantes, larves de poissons, crustacés ou mollusques, extrêmement précieux ainsi de la diversité océanique.
Quatre facteurs principaux les menacent : la pollution des plastiques entraînant une baisse de fécondité. L’acidité des océans due à l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère absorbé par les océan sous forme d’acide carbonique HCO3. On a y fait un saut d’acidité qui n’a pas d’équivalent depuis 25 millions d’années, ce qui nous oriente vers une extinction de masse de la faune océanique telle qu’elle s’est produite entre le crétacé et le tertiaire il y a 60 millions d’années. Les chocs thermiques liés aux étés exceptionnellement chauds. Déployant la vie à quelques dizaines de mètres sous la surface de l’eau, les récifs coraliens sont très sensibles à l’augmentation de sa température car elle provoque la mort de petites algues symbiotiques aux coraux, les zooxanthelles et le blanchissement des coraux. Si le blanchissement se répète, c’est le corail qui meurt sans les apports nutritifs de ces algues. Or, le temps entre deux chocs thermiques ne cesse de se rapprocher. Sur la grande muraille de corail en Australie, les blanchissements mesurés sont très resserrés depuis les années 1975, 1980. Pour terminer, les perturbations climatiques entraînent des asynchronies dans l’émission des gamètes mâles et femelles lors de la reproduction des coraux, ratant la fécondation et la reproduction des coraux.
– Effondrement de la démographie des insectes ailés, des oiseaux des régions habitées et des stocks de poissons. Un tiers des stocks de poissons est aujourd’hui exploité de manière illicite ou non règlementée. Au sujet des insectes ailés, on aurait une baisse de 87 % de la biomasse correspondant au nombre d’individus par espèces (faites un Paris-Toulouse sur l’Autoroute, vous verrez peu d’insectes sur votre pare-brise). C’est préoccupant car ça provoque une chute d’une partie de la population d’oiseaux insectivores en l’occurrence
– Perte de diversité domestique. Le productivisme qui caractérise notre utilisation de biodiversité fait qu’on se concentre sur une petite fraction de diversité génétique des espèces exploitées, parce qu’elles sont rentables, en abandonnant les autres. 10 % des races de mammifères domestiques ont disparu en 2016, 20 % sont menacées d’extinction, 3,5 % des oiseaux domestiques aussi. L’humain a créé au cours de son histoire de la biodiversité. En 15 000 ans il a fait du loup un Cheewawa ou un Dauberman, cette diversité créée par l’homme est aussi déclinante.
Il ne s ‘agit pas seulement de faire un constat mais d’en identifier les causes et pour la première fois, l’IPBES les a classées par ordre d’importance.
Première cause : changement d’usage des terres et de la mer.
75 % des environnement terrestres et 66 % des environnements marins en surface ont été modifiés par l’action humaine.
Coupe des forêts: la moitié des 100 millions d’hectares d’expansion agricole entre 1980 et 2000 en région tropicale s’est faite au détriment des forêts , principalement par l’élevage extensif en Amérique latine et les plantations en Asie du sud-est. 7 % des forêts non modifiées précédemment de la main de l’homme on disparu en superficie durant les 13 dernières années.
Plus du tiers de la surface des terres et 70 % des ressources en eau douce sont destinées à l’agriculture et à l’élevage. Notons l’augmentation de 300 % de la culture vivrière depuis 1970 dont 75 % dépendent de la pollinisation par les animaux. Or, si les insectes s’éteignent notamment à cause des perturbateurs endocriniens ou des pesticides, cette production vivrière ne pourra durer.
Dégradation des sols : A force de pomper les sols ne les laissant pas se reposer, on a réduit déjà de 23 %, par rapport à l’époque préindustrielle, la productivité de l’ensemble de la surface terrestre mondiale. Comptons aussi que les zones urbaines ont plus que doublé de surface depuis 1992.
Zones humides. Notons qu’en 300 ans, 87 % des zones humides ont été perdues, étant comme les récifs coraliens des points chauds de biodiversité, perte trois fois plus rapide que celle des forêts.
Océans. 55 % de la surface océanique est exploitée par la pêche industrielle. Il reste encore une bonne partie non exploitée ainsi ; il faudrait que ça le reste.
Deuxième cause : exploitation directe des organismes.
Le commerce illégal des amphibiens a répandu une pandémie de mycose, y compris chez les amphibiens sauvages, induite par le commerce récréatif des amphibiens.
Citons aussi le braconnage des grands mammifères. Dans les régions du monde où les humains ne mangent pas à leur faim, le braconnage des grands mammifères est directement lié au niveau économique ou politique des pays où nous nous trouvons. Un article paru dans Nature en 2019 montre une corrélation frappante entre le nombre de morts dû aux guerres et les baisses démographiques de grands mammifères des parcs nationaux en Afrique. Les guerres et déplacements de population en camps de réfugiés mènent au braconnage pour survivre autour des ces camps qu’ils soient ou pas des zones protégées.
Troisième facteur : changement climatique.
En plus de l’acidification des océans déjà évoquée, une baisse de 3 à 10 % de la production primaire des océans est anticipée d’ici 2100, avec 3 à 25 % de la baisse des biomasses des poissons, en plus de l’extinction de 47 % des mammifères terrestres non volants et 23 % des oiseaux.
Quatrième facteur : les pollutions.
Elles se sont multipliées par 10 en quantité depuis 1980. 3 à 400 millions de tonnes de métaux lourds, solvants, boues toxiques sont délivrées par an dans les eaux. On peut mesurer 245 000 km carrés (superficie supérieure au Royaume-Uni) d’océan où la photosynthèse ne se fait plus. Les micro-plastiques présents partout, jusque dans les sables, engendrent des dégâts considérables dans la chaîne du zooplancton. Bloquant le système digestif de l’animal qui l’ingère et meurt, il bloque celui de l’animal qui le mange, etc. Agissant ainsi comme un tueur en série.
Cinquième cause : les espèces exotiques envahissantes.
Leur nombre a augmenté de 70 % entre 1970 et 2019 dans les 21 pays ayant accepté d’informer sur le commerce de ces espèces qui se sont échappées et installées dans l’environnement. Il faut savoir aussi que les eaux de ballast des tankers, réservoirs d’eau de mer intégrées dans ces bateaux servant à leur stabilité, sont relarguées des dizaines de milliers de km plus loin. Des larves nombreuses de zooplancton et de phytoplancton sont ainsi déplacées dans les océans. L’épidémie de choléra au Pérou au début des années 90, a été déclenchée par des bactéries venant des eaux de ballast déposées dans le port de Lima. Il faut envisager d’autres moyens de stabilisation des bateaux.
Autres résultats récents dans diverses revues scientifiques :
Les aires protégées à la surface du globe ne sont pas pérennes. Un tiers de leur surface est sous pression entropique, humaine, forte. Notamment en Europe de l’ouest et en Asie du sud-est où elles sont traversées par des routes, ou des zones navigables ou sont objets de pollutions nocturnes. Elles sont aussi souvent en situation de déclassement. 15 % de la surface des terres et 7,3 % des océans est en surface protégée. Elles peuvent subir soit une diminution de leur surface, soit un assouplissement des règles de protection, soit une annulation et un déclassement pur et simple. 269 actes de dé-protection aux Etats-Unis et 440 dans le bassin amazonien ont été promulgués dans les 20 dernières années. Plus globalement, entre 1892 et 2018, 73 pays ont promulgué 3749 lois de dé-protection concernant plus de 500 000 km carrés, 78 % étant postérieures à l’an 2000.
Considérons maintenant les projections.
Si la biodiversité va vers un effondrement, quel est-il et sous quel tempo, progressif ou abrupt ?
Il faut aborder cette question à l’échelle des écosystèmes et de leur stabilité où deux paramètres entrent en cause : la disponibilité en eau et la température moyenne. Une étude globale montre la synchronicité des limites atteintes pour plusieurs espèces en même temps, c’est à dire la sortie de route de l’ensemble de l’écosystème à l’endroit où il se trouve.
Elle commence, d’après cette étude, avant 2030 dans les océans intertropicaux, en 2040 dans les forêts tropicales et en 2050 dans les zones boréales.
Pour les îles Caïman, effondrement de 60 % des espèces en 2015 avec un promptitude de 57 %. Sur le triangle de corail dans le pacifique ouest, 10 % des espèces s’éteignent avec une promptitude de 88 %. Dans le bassin amazonien, on prévoit un effondrement de 100 % des espèces en 2048 avec une promptitude de 83 %. Dans le désert de Gobi, 20 % des espèces s’effondrent en 2042 avec une promptitude de 46 %.
A partir de 2040, ne prenant en cause que les paramètres climatiques en troisième position dans les causes de destruction de la biodiversité, on voit que des pièces du château de cartes vont s’effondrer sans parler de l’usage des terres.
Conclusion :
Cette menace d’extinction majeure de la biodiversité est aussi pour l’humain, partie intégrante de la biodiversité. Un concept a émergé depuis plus d’une décennie : la santé globale de l’humanité ou une seule santé : celle des humains, celle animaux et celle des environnements.
A terme, les mesures de conservation ne doivent pas s’intéresser seulement aux trois générations à venir ; l’histoire naturelle nous engage à voir plus loin. L’horizon doit garantir le potentiel évolutif des espèces qui nous accompagnent sur le globe. La biodiversité ne peut pas être réduite au service qu’elle peut nous rendre. Elle a sa dynamique propre sur des temps de centaines de millions d’années.
Que faire ? Ce n’est pas à un scientifique de le dire, mais il peut fournir des indications.
D’abord identifier les biais humains qui font qu’ils ne peuvent à l’échelle individuelle, même informés, agir sur les menaces sur la biodiversité, le climat, l’épuisement des sols et des ressources minérales.
On peut en citer quelques unes.
L’amnésie générationnelle. On oublie le monde de nos arrières grand-parents. Pour un pêcheur de 1950, une grosse morue pesait 5 kg ; aujourd’hui, elle fait 400g. Les photos de la savane sud-africaine à la moitié du XIX°siècle nous présentent un nombre stupéfiant de grands mammifères. Sauf dans les parc animaliers africains, vitrines pour touristes, la savane est dépeuplée.
Insatisfaction des sociétés de consommation. L’horizon d’être riche correspond aujourd’hui à deux fois son salaire pour la moyenne des gens questionnés, quel que soit son salaire. Aucune instance nationale ou internationale ne souhaite la limiter. Le plafonnement des salaires, comme le salaire universel paraît une idée saugrenue. Aucune limite n’est tolérée en matière économique, ni dans la richesse, ni dans la pauvreté. L’illimité dans notre système économique est un argument de vente, même comme un rêve à travers le transhumanisme. Vaincre la mort, programme des GAFA lorsqu’ils financent le programme transhumaniste, est une imposture de fait ne tenant pas compte ce qu’est le vieillissement.
Les transitions énergétique. Celles proposées actuellement n’en sont pas car elles sont en fait des cumuls à l’échelle du globe.
Que faire face à tout ça ? Recommandation que l’histoire naturelle peut proposer :
Entraîner nos concitoyens à une vision multi-échelle qui nous permettrait de conserver la biodiversité et son potentiel évolutif, pas seulement pour les besoins qu’elle permettrait de satisfaire, mais aussi pour éviter l’écueil de se trouver trop tard au pied du mur.
Comment réguler la cupidité et l’appropriation ?
Notre système économique reste aujourd’hui un système de propriétaires.
Dans l’histoire du capitalisme, le XIX° siècle a été ponctué par des révolutions du fait que les propriétaires n’ont cessé de s’enrichir. Les conséquences des deux guerres du XX° ont ramené à une distributions moins biaisée dans la population, mais on reprend depuis les années 1980 la dynamique du XIX° siècle de concentration de la richesse. Les riches s’enrichissent de plus en plus, les pauvres s’appauvrissent de plus en plus, et c’est mondial.
Cette course à l’appropriation, fruit de la cupidité, n’a pas d’ instances supra nationales pour la réguler. Il faut une coercition forte face à cette appropriation et créer des moyens de régulation de gouvernance internationale, le problème étant global ; un sujet qu’on souhaite développer au Muséum d’histoire naturelle pour imaginer un avenir meilleur.
Livre récemment édité : « Manifeste du Muséum sur les limites de la planète. »
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