DROITE-GAUCHE / GAUCHE-DROITE GROITE DAUCHE

th02

DROITE-GAUCHE / GAUCHE-DROITE

GROITE DAUCHE

On ne sait pas ; on ne sait plus !!!

Depuis quelques décennies, de confusions en traîtrises, la distinction entre les partis et positions politiques se revendiquant de gauche devient de moins en moins visible.

Une recherche historique de son origine peut éclairer ce questionnement.

Celle de Jean-Claude Michéa, dans son livre publié en 2016, peut-être une première approche.

Quelques extraits ci-dessous.

« Cette « crise de la gauche », dans un contexte économique et social qui devrait être, au contraire, « propice à l’adhésion aux idées socialistes et anticapitalistes », peut effectivement paraître, à première vue, tout à fait étrange. N’est-ce pas Georges Orwell qui observait en 1937, que « tout ventre vide est un argument en faveur du socialisme » ? Mais la clé du mystère se trouve, en fait, dans la remarque d’Orwell elle-même. C’est que le « socialisme » et la « gauche » relèvent en réalité, depuis l’origine, de deux histoires logiquement distinctes, et qui ne se recouvrent que partiellement. La première – née dans le cadre émancipateur et tumultueux de la Révolution française – s’articule, en effet, entièrement autour de cette notion de « Progrès » (elle-même empruntée aux courants dominants de la philosophie des Lumières) qui a longtemps permis à ses innombrables fidèles de justifier idéologiquement tous les combats contre le pouvoir de la noblesse et de ces « forces du passé » – traditions populaires comprises – dont l’Église catholique était alors le symbole privilégié (de là, entre autres, cet anticléricalisme viscéral qui donne à la gauche française  une coloration spécifique qu’on ne retrouve guère dans des nations protestantes).

Quant aux différents courants socialistes – dont l’unité philosophique tenait en premier lieu, à leur volonté commune de promouvoir l’« émancipation sociale des prolétaires » – ils apparaissent d’abord comme le fruit, dans les conditions spécifiques de la révolution industrielle naissante, de la protestation des travailleurs anglais, français et allemands à la fois contre la nouvelle organisation capitaliste du travail fondée sur le « mouvement incessant du gain toujours renouvelé » (Marx, Le Capital, livre I, 1867) et contre la forme de société atomisée, déshumanisante et « benthamienne » qui en était le complément naturel.

Autant dire que le rapport à la modernité industrielle des premiers socialistes était donc nettement moins enthousiaste que celui de la gauche républicaine (même si, bien sûr, certaines passerelles politiques entre le socialisme et la petite bourgeoisie jacobine d’extrême gauche ont toujours existé, par exemple pendant la Commune de Paris).

En un mot, les fondateurs du socialisme prenaient toujours soin de distinguer la République libérale et bourgeoise des « Bleus » (celle qui – quelles que soient les indispensables libertés qu’elle accorde aux individus atomisés – laisse nécessairement intacts le système de l’accumulation du capital et les inégalités de classes) de cette République sociale  invoquée par les « Rouges », et dont ils attendent qu’elle donne – selon les termes de l’appel lancé, pendant la Commune, par la socialiste libertaire André Léo (pseudonyme de Victoire Béra) – « la terre au paysan et l’outil aux ouvriers ».

Bien entendu, la plupart de ces premiers socialistes – partisans par définition d’une société sans classes – n’hésitent jamais à joindre leurs forces à celles de la gauche libérale et républicaine chaque fois que cette dernière devait affronter la réaction cléricale et monarchiste, quitte à devoir ainsi, comme l’écrivait Lissagaray en 1876, « défendre cette République qui les persécutait ».

Mais c’était, en général, sans la moindre illusion sur l’attitude qu’adopterait cette bourgeoisie républicaine de gauche chaque fois que le combat purement politique pour l’extension des libertés fondamentales du citoyen en viendrait à mettre à l’ordre du jour la question cruciale de l’émancipation sociale des travailleurs.

Aussi bien, ce soutien critique que les ouvriers politiques apportaient régulièrement à la gauche dans son combat constructif contre la « Réaction », ne les conduisait-il jamais à vouloir fusionner avec elle sous le seul prétexte d’une défense commune, mais abstraite, des « valeurs républicaines ». Et lorsque quelques années seulement après le massacre des ouvriers parisiens – massacre accompli sous le commandement impitoyable des principaux chefs de la gauche libérale du temps, d’Adolphe Thiers à Jules Fabre – certains militants socialistes, devant la menace de la restauration de la monarchie, en étaient venus à envisager la possibilité d’une alliance plus organique avec la gauche (ou, tout au moins, avec son aile radicale), les Communards réfugiés à Londres allaient aussitôt s’empresser, dans leur appel de juin 1874 – et sous la plume, entre autres, d’Edouard Vaillant – de rappeler «à ceux qui seraient tentés de l’oublier que la gauche versaillaise, non moins que la droite, a commandé le massacre de Paris, et que l’armée des massacreurs a reçu les félicitations des uns comme des autres. Versaillais de gauche et versaillais de droite doivent être égaux devant la haine du peuple ; car contre lui, toujours, radicaux et jésuites sont d’accord » (de nos jours, un tel appel serait, à coup sûr, reçu par les lecteurs crédules du Monde et de Libération comme le signe manifeste d’une « droitisation de la société » et du retour d’un « populisme » particulièrement « nauséabond ».

C’est donc uniquement, encore une fois, dans le contexte très particulier de l’affaire Dreyfus, et sous l’influence majeure de Jaurès, qu’allait véritablement prendre forme, malgré la vive résistance initiale de Guesde,Vaillant et Lafargue (et, sur un autre plan, du mouvement anarcosyndicaliste) le nouveau projet d’une intégration définitive du mouvement ouvrier socialiste dans le camp supposé politiquement homogène de la gauche « républicaine » et des « forces de progrès ».

Or, comme Rosa Luxembourg l’avait immédiatement compris (tout en approuvant sans ambiguïté, par ailleurs, l’appel courageux de Jaurès à intervenir en faveur du capitaine Dreyfus), il s’agissait là d’un projet dont les implications politiques ne pouvaient, à terme, que se révéler désastreuses.

Et afin de refroidir, au passage, l’enthousiasme républicain de Jaurès et de ses amis Millerand et Viviani devant la perspective d’une participation imminente des socialistes à un gouvernement de gauche, elle ajoute dans la foulée, cette précision aussi lucide que prophétique :  « L’entrée des socialistes dans un gouvernement bourgeois n’est donc pas, comme on le croit, une conquête partielle de l’État par les socialistes, mais une conquête partielle du parti socialiste par l’État bourgeois ».

A constater le triste champ de ruine qui s’étend aujourd’hui sous nos yeux, on comprend alors mieux à quel point les sombres prédictions de Rosa étaient entièrement justifiées ( à ceci près, bien sûr, qu’il y a déjà bien longtemps que la conquête de la gauche par l’État bourgeois s’est révélée totale, et non plus seulement partielle).

Or, il ne fait aujourd’hui aucun doute que les catégories populaires – précisément parce qu’elles en sont toujours les premières victimes – ressentent déjà, de manière infiniment plus profondes que tous les sociologues de gauche réunis, les effets humainement désastreux de cette intégration dialectique toujours plus poussée entre l’économie, le politique et le culturel. A moins par conséquent que la gauche moderne ne parvienne à « changer le peuple », (…) il est donc grand temps pour elle de commencer à comprendre que si ce flamboyant « libéralisme culturel », qui est devenu aujourd’hui son dernier marqueur électoral et son ultime valeur refuge, suscite un tel rejet de la part des classes populaires, c’est aussi parce que ces dernières ont déjà souvent compris qu’il ne constituait que le corollaire « sociétal » logique du libéralisme économique de Milton Fridman et d’Emmanuel Macron. »

 

Jean-Claude Michéa

« Notre ennemi le Capital »

Réponses

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *